L’Association des Jeunes Internationalistes publie un article rédigé par Cécile Mouchon, étudiante du Master en Relations Internationales à l’Université Paris II Panthéon-Assas & Sorbonne Université.
L’architecture gouvernementale en matière de défense et de sécurité nationale —et donc en matière de résolution de crises— est complexe, délicate, voire opaque. Pourtant, face à la multiplication des crises intérieures et extérieures, il est apparu primordial de définir et instaurer de nouvelles politiques de défense et de sécurité. En effet, afin d’être résolues de manière efficace et réactive, et afin d’éviter l’émergence de conflits ardents, les crises politiques et militaires nécessitent des actions préalables alliant des stratégies de prévention, de protection mais aussi d’intervention de forces armées. La frontière entre une crise politique, militaire, sociale et une situation concrète de conflit armé est étroite et le basculement vers des conflits mondiaux peut être brutal. De fait, selon le grand théoricien de la guerre, Carl von CLAUSEWITZ, une crise intervient en amont de tout conflit armé. En d’autres termes, une crise se définit comme une situation de désordre pouvant in fine entraîner le début d’un conflit, impliquant alors une opposition réelle entre deux ou plusieurs acteurs. Ainsi, afin d’éviter cette situation d’affrontement violent, voire de guerre à proprement parler, les dirigeants politiques se sont, de tout temps, attachés à résoudre ces crises, qu’elles soient majeures ou mineures selon les termes du Général BEAUFRE. Il apparait donc essentiel d’anticiper et organiser la gestion de ces crises.
En 1994, à la publication du second Livre blanc relatif à la stratégie défensive française, la politique de défense était manifestement marquée par la planification militaire, l’intervention armée et la dissuasion. La planification militaire s’inscrivait au coeur des interventions dites « humanitaires ». L’image du soldat « gardien de la paix » était vivement mise en avant et ce dernier présentait davantage un rôle d’interface et d’intermédiaire. Le militaire agissait alors moins dans ses fonctions et illustrait concrètement la vision de « paix perpétuelle » prônée au sortir de la Guerre Froide. Cependant, l’histoire de la gestion de crise en France a démontré une évolution significative des théories stratégiques et l’organisation gouvernementale en matière de conduite et résolution de crise semble désormais reposer sur une coordination solide entre les acteurs protégeant la Nation. De fait, de la planification militaire stricte au recours à l’arme nucléaire, c’est aujourd’hui la comprehensive approach développée par la doctrine anglo-saxonne qui prévaut. L’évolution de l’ordre mondial, l’affirmation de nouveaux acteurs belliqueux sur la scène internationale ou encore l’avènement des nouvelles technologies ont progressivement transformé la perception qu’ont les dirigeants politiques et ont entrainé une réorganisation de la défense et de la sécurité de la France. Une nouvelle culture du gouvernement face aux crises s’est développée, impliquant une gestion fondée sur l’anticipation, la coopération et le partage d’information.
Ainsi, les services gouvernementaux concernés par la gestion de ces crises multiples se sont incontestablement détachés d’une planification militaire stricte autrefois encouragée et promue. Le constat du manque d’intégration du domaine civil, pour trouver des solutions aux troubles politiques et militaires et anticiper les situations « post-crise », a entrainé une prise de conscience tendant vers une évolution considérable de la conduite de ces crises. Désormais, celles-ci paraissent gérées de manière à, avant-tout, établir une paix durable sur le long-terme et protéger les populations locales et les nations marquées par diverses tensions. Cette nouvelle stratégie de gestion de crise —la comprehensive approach— a été développée par l’OTAN au début des années 2000 et peut être rapprochée du concept de stratégie totale du Général André BEAUFRE. De même, cette comprehensive approach n’est pas sans rappeler la stratégie des 3D (Défense, Diplomatie et Développement) voulue et mise en oeuvre par le Président MACRON, notamment au Mali afin de résoudre la crise sahélienne. Le gouvernement français a la volonté de mobiliser, hiérarchiser et coordonner l’ensemble des acteurs, moyens et outils à sa disposition, qu’ils soient diplomatiques, économiques ou militaires. Dans un article récent, le Colonel Hervé PIERRE précise qu’en situation de paix-guerre (comme le reflète souvent les crises en Afrique), « l’approche ne peut être que globale : la solution militaire n’est qu’une partie du problème et pas toujours, voire très peu souvent, la plus importante ». Le militaire a donc manifestement une réelle place à occuper, un rôle à assumer, mais aussi, invariablement, des ordres à exécuter.
En effet, malgré une tendance au renforcement de la coordination et de la coopération entre les organes politiques et les organes militaires, l’idée de séparation entre le politique et l’administratif, entre le civil et le militaire, demeure incontestablement. Le politique s’assure de toujours conserver le dernier mot sur les décisions ayant trait aux intérêts vitaux. Pour reprendre l’idée de François RACHLINE, appliquée à l’action politique en matière de défense et de sécurité, il existe dans l’administration française une dissociation entre l’autorité qui décide, l’opérateur qui exécute et le tacticien militaire qui agit. La défense française apparait donc fondée sur une articulation précise entre différents acteurs protégeant la nation : le Président de la République, le gouvernement, les cadres militaires (CEMA, CEMP, CEMAT…), ou encore les soldats opérant sur le terrain.

Dans les Livres blancs de 2008 et 2013 —désormais renommés « Livre blanc sur la défense et de la sécurité nationale »—, la priorité est donnée à la « continuité entre sécurité intérieure et sécurité extérieure » et aux relations entre actions civiles et militaires. De même, l’affirmation de l’autonomie stratégique de la France, notamment par le biais des opérations extérieures (OPEX), caractérise la nouvelle organisation gouvernementale en matière de défense et de sécurité nationale. Pour répondre à la volonté des décideurs politiques de s’engager de plus en plus couramment dans des interventions étrangères et protéger le territoire national dans un même temps, les militaires français sont déployés dans des opérations au Mali, en Libye, en Afghanistan, ou encore en Centrafrique. Dans une note adressée au Ministère de la défense en novembre 2002, l’Etat major des armées (EMA) et la Délégation aux affaires stratégiques (DAS) affirment de concours que « sécurité intérieure et sécurité extérieure sont désormais liées ; en renforçant sa capacité à agir à l’extérieur, la France assurera plus facilement sa sécurité intérieure ». L’engagement des forces armées françaises souligne donc la volonté de protéger le territoire et la sécurité des ressortissants français. En outre, les interventions militaires extérieures se multipliant, la France affiche indéniablement sa volonté de se positionner comme chef de file pour conduire de nombreuses crises étrangères. Aujourd’hui, le monde n’apparait plus dans un état de « guerre perpétuelle » mais les liens entre menaces intérieures et extérieures obligent à « fusionner les notions de sécurité et de défense ». La communauté internationale ne connait plus véritablement les « guerres » vues et analysées selon la logique clausewitzienne. L’ordre international semble dorénavant dans un état de « crises en chaîne » sur le plan national comme mondial. Dès lors, comme soulignée par la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale publiée en 2017, « [la] dégradation du contexte international doit conduire (…) à mieux articuler tout ce qui au niveau du ministère des Armées comme de l’ensemble de l’Etat, participe de la prévention et de l’approche globale des crises, qu’elles concernent le territoire national ou nos interventions extérieures ». Ainsi, le militaire, qui était jadis relayé à un statut secondaire et lointain —sa présence et ses actions étant principalement restreintes aux terrains extérieurs—, aurait désormais acquis une place et un rôle non négligeable dans les orientations et prises de décisions politiques ayant pour objectif de contenir des crises, aussi bien majeures que mineures. Incontestablement, cela traduit et confirme l’importance des armées dans la « mission générale de sécurité » qui incombe au gouvernement.
Les crises et conflits, par essence complexes, impliquent des forces militaires nationales ou étrangères, aussi bien que des populations civiles présentes sur les champs de bataille. Comme le souligne Alexandra NOVOSSELOFF, la sortie de crise apparait donc « uniquement politique, même si le militaire peut l’y aider par certains aspects ». Cette réflexion pertinente fournit ainsi une idée de l’implication du militaire dans la résolution des crises, subordonnée aux décisions prises par le pouvoir politique. Bien qu’ayant une expertise essentielle et une expérience de terrain considérable pour traiter des questions d’emploi de la force, il semble que le militaire soit encore trop souvent exclu des discussions stratégiques dirigées par les élus et dirigeants politiques. L’autorité du chef de l’État —chef des Armées— reste centrale et bien qu’il puisse être assisté voire influencé par des collaborateurs ou personnalités politiques et militaires éminentes, la décision finale d’engager des forces militaires sur un terrain opérationnel lui revient toujours. Toutefois, la Revue stratégique de 2017 rappelle explicitement que « l’autonomie stratégique de la France [doit continuer] à reposer sur une diplomatie forte et engagée, au service d’une approche globale des crises qui intègre sécurité et développement, étroitement articulée avec l’action militaire ». L’évolution des politiques et de l’organisation gouvernementale en matière de défense et de sécurité nationale se révèle ainsi liée à une volonté toujours plus vive des armées de se voir attribuer un rôle déterminant dans les prises de décisions. De fait, avant d’être mise en oeuvre sur les terrains opérationnels, la mission nationale de garantie de la sécurité de la Nation se pense, se planifie et s’anticipe dans les plus hautes sphères politiques de l’Etat français. C’est pourquoi, il apparait essentiel et nécessaire d’intégrer les penseurs, théoriciens et stratèges militaires aux prises de décisions défensives, sécuritaires et tactiques.
Bibliographie :
BEAUFRE André, Introduction à la stratégie, Ed. Hachette Pluriel, 1963.
Hervé PIERRE, « Paix guerre, relire Beaufre aujourd’hui », Thucyblog AFRI, n°24, Avril 2020. https://www.afri-ct.org/2020/thucyblog-n-24-paix-guerre-relire-beaufre-aujourdhui/
LECOQ Tristan, « Assurer la sécurité de la nation : la question de l’organisation de la défense nationale », Revue Défense Nationale, N° 830, Mai 2020 – P. 67-77
Note EMA/DAS n°787 DEF/EMA/ESMG et n°5017DEF/DAS du 29 novembre 2002
NOVOSSELOFF Alexandra, « Crises du Moyen-Orient et guerre au terrorisme » AFRI, 2016, volume XVII. Alexandre Novosseloff est docteur en sciences politiques et chercheuse associée au Centre Thucydide de l’Université Panthéon-Assas (Paris II).
RACHLINE François, Services publics, économie de marché, Paris, Presses de Sciences-po, 1996. François RACHLINE est écrivain, économiste de formation, professeur à Sciences Po. Il a notamment dirigé l’Institut Montaigne de 2009 à 2010 et a été le conseiller spécial du président du Conseil économique, social et environnemental (Jean-Paul Delevoye) de 2011 à 2015.
Revue Stratégique de défense et de sécurité nationale, 2017, p.88
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