Sommet de N’Djaména, un sommet de plus ?

Ce présent article est présenté à Vision Internationale par étudiante de master en Relations internationales à l’IRIS, Wazina HADJI SIDIMI.

Le président du Burkina Faso Roch Marc Christian Kaboré a reçu ce mercredi le Haut représentant de la Coalition pour le Sahel Djimé Adoum et l’envoyé spécial de la France pour le Sahel Frédéric Bontems en compagnie de Angel Losada, représentant spécial de l’Union Européenne pour le Sahel. Cette visite intervient à un mois du sommet de N’Djaména, septième sommet du G5, qui s’est déroulé en la présence des chefs de l’Etat sahéliens, du président sénégalais Macky Sall et président de la République Macron en vision-conférence depuis l’Elysée. Un an après le sommet de Pau, où le déploiement d’un renfort de 600 soldats pour la force Barkhane – qui compte déjà près de 4500 hommes – avait été décidé, le Sommet de N’Djaména se veut l’initiateur d’une nouvelle diplomatie

Pas de retrait massif pour la France 

La France a d’ores et déjà annoncé un ajustement militaire après la mort de deux soldats français tués, portant à 55 le nombre de soldats français morts depuis 2013. Le président Macron avait annoncé lors de son déplacement à Brest, la possibilité d’un “redimensionnement” des troupes françaises basées au Mali et au Niger. Cette décision fait écho aux nombreuses critiques qu’essuie l’intervention française depuis quelques temps, comme le confirme le sondage d’opinions réalisé par l’IFOP2, mais également au sentiment anti-français grandissant perçu dans la population sahélienne, notamment au Mali3

De la même manière que l’armée française s’est enlisée en Afghanistan après treize ans de présence aux côtés des forces de l’OTAN, ce scénario attend probablement la force conjointe, qui tarde à trouver une solution à ce conflit qui dure depuis plus de dix ans et dont l’engagement de la France dure depuis huit ans. Le général Lecointre professe dans une interview qu’il n’y aura pas de victoire sans une solution politique, et pour la première fois, on envisage de “discuter avec les ennemis4”, un changement de cap majeur qui illustre le redynamisme du dialogue sur la table des négociations, entamé déjà par Ibrahim Boubacar Keïta (président du Mali)5.  

La France a bien compris qu’augmenter ou réduire le nombre de soldats sur le terrain ne changerait pas la donne s’il n’y avait pas d’initiative propice à une meilleure gouvernance, de même qu’un développement économique et social dans ces zones. Le chemin des négociations est inévitable dans une guerre asymétrique où l’histoire nous a montré maintes fois l’issue, à savoir qu’il n’y a jamais de gagnant. En Afghanistan par exemple, on négocie aujourd’hui avec les Talibans, les ennemis d’antan ; en Irak, la guerre a fait naitre Al-Zarqaoui et a permis à la menace terroriste de s’étendre à d’autres territoires révélant un Etat encore plus affaibli.

Il n’est donc pas davantage question de savoir si l’on continue ou non cette guerre mais de savoir où l’on va.  Si on ne veut pas que cette guerre se transforme en guerre d’occupation, il devrait-y avoir une stratégie post-retrait afin d’éviter l’enlisement du conflit à l’image de la Lybie post-Khadafi. Ce qui n’est pas encore le cas puisque bon nombre de ces pays sont allergiques à l’alternance politique et à la démocratie. Dans une région anciennement colonisée, ayant hérité de structures étatiques exogènes qui ne tiennent pas compte des réalités et des ramifications politico-sociales des peuples, des rivalités ethniques sous-jacentes et des défis environnementaux colossaux (désertification,démographie…), la France et ses alliés misent sur une victoire militaire, mais celle-ci ne serait qu’un cache misère pour les 2 millions de déplacés sahéliens. 

Une action militaire seule ne viendrait pas à bout de la gangrène djihadistes qui sévit, surtout dans les zones délaissées et sous-développées où les terroristes proposent une justice sociale de substitution. L’autre fait important est qu’une augmentation des effectifs ne signifierait pas une victoire puisqu’une victoire militaire reste foncièrement un leurre, les djihadistes se redéployeront vers d’autres territoires et continueront à martyriser les civils, d’autant plus que c’est une guerre asymétrique et qu’on a à faire à un ennemi invisible. On peut appuyer cette argumentation en ayant en tête que les pays les moins militarisés, à savoir le Tchad et la Mauritanie, connaissent le moins d’attaques djihadistes.

Vers une européanisation du conflit 

La France paye-t-elle le prix de s’être lancée seule à la rescousse du Mali ? C’est bien ce qui tend à se confirmer puisque qu’elle s’engage de plus en plus vers une européanisation du conflit. Par ailleurs, la volonté de sahéliser le conflit, à savoir d’en faire une affaire nationale et régionale, par la création du G5 Sahel notamment, fut une vision mort-née puisque les moyens ne sont pas réunis entre Etats sahéliens. 
Ce sommet de N’Djamena sera l’occasion “d’un sursaut diplomatique”7  comme l’a précisé Jean Yves-le Drian devant le Sénat où il était auditionné mi-février, avant de laisser la parole à Florence Parly qui a défendu la stratégie militaire de ses hommes en soulignant que “la France n’est pas engluée dans une guerre sans fin au Sahel”8. La ministre de la défense, qui était à Washington il y a quelques mois pour convaincre les américains ne pas se désengager dans la lutte contre le djihadisme, a martelé qu’il était vital de tenir hors de portée le Sahel des terroristes, qui pourraient en faire “une base arrière du multinational terroriste qui par ailleurs menace publiquement notre pays”9.  

 En effet, s’il est question d’une réévaluation de la politique militaire de la France dans cette région, ainsi que d’une réflexion sur l’avenir de l’Opération Barkhane, la France ne tient pas à quitter la zone de sitôt. 

« Un retrait français, retirer massivement les hommes, qui est un schéma que j’ai étudié, serait une erreur » Emmanuel Macron

Le budget militaire qui est passée de 520 millions en 2014 à 1 milliards en 2020, compte à présent sur un soutien européen qui peine à se déployer : seulement une centaine de militaires estoniens, tchèque et suédois sont déployés dans le cadre de la Task Force Takuba, cette opération européenne qui ouvre le bal à une européanisation du conflit sahélien. S’ajoute à cela une aide américaine indispensable dans le renseignement, mais timide en intervention militaire. L’objectif de la Task Force Takuba est, avec huit pays supplémentaires, d’arriver à terme à un total de 8000 militaires européens engagés. Un autre élément à souligner est la question du « réajustement » de l’armée française, faisant écho à un retrait qui n’a lui pas été confirmé, cette décision étant « en cours de réflexion et les modalités seront discutées dans les prochaines semaines par les partenaires sahéliens et européens”, mais cela a finalement été balayé des négociations et l’engagement de la France restera donc intact. 

S’il n’y a donc pas de diminution militaire, il y a bien un réajustement géographique et stratégique puisqu’il a été décidé de se concentrer non plus sur tout le territoire (pour rappel le Sahel est grand comme l’Europe) mais surtout dans la zone des trois frontières, notamment la zone RVIM, épicentre des massacres (localité Gourma par exemple), avec pour cible non plus l’Etat islamique au Grand Sahara (Sommet de Pau) mais le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans affilié à Al-Qaida et dont le chef n’est autre que le touareg Iyad Ag-Ghali, l’ennemi numéro un de la France, avec son subordonné Ahmadou Koufa 

Enfin, l’initiative du président du Tchad de prévoir l’envoi de ses 1hommes dans cette zone qui affiche un nombre record de morts pour l’année 2020 a été saluée par les participants du sommet. Il prend les rênes du G5 sahel après la présidence du mauritanien Mohammed Ould-Cheikh. Toutefois, le Maréchal Idriss Déby Itno réitère la nécessité d’une aide financière en parallèle, ce qui sonne comme une marchandisation militaire, voire une rente financière accomplie au nom de l’antiterrorisme : “Beaucoup d’efforts sont consentis par nos gouvernements pour (…) assurer le retour de l’État et des administrations sur les territoires” a-t-il annoncé.  


Pour l’heure, même s’il est question de diminuer numériquement la présence française afin de se concentrer dans l’épicentre du conflit, à savoir la zone des trois frontières, et de chercher des futurs collaborateurs internationaux, la France ne peut se résoudre à quitter cette région sans un réel plan d’accompagnement. La nécessité d’instaurer une transparence démocratique plus vivante ainsi que des politiques de développement social devront être à l’ordre du jour, alors que les pays concernés sont en période d’élection comme au Tchad où le président Idriss Déby Itno brigue un sixième mandat. Les pays signataire du G5 Sahel ont également de lourds défis à relever : lutter contre le terrorisme par l’éducation, des politiques sociales d’inclusion ; combattre la propagande djihadiste en faisant appel à un enseignement théologique intellectuel (Mauritanie) ; redynamiser l’économie nationale et favoriser une gouvernance démocratique…  

Bibliographie: 

Des lignes rouges dans les négociations avec les jihadistes selon l’ambassadeur du Mali en France, AFP, 2020.  
 https://www.voaafrique.com/a/des-lignes-rouges-dans-les-n%C3%A9gociations-avec-les-jihadistes-selon-l-ambassadeur-du-mali-en-france/5305536.html   

Jean Dominique Merchet, Au Sahel, La France au piège de ses alliés,  L’Opinion, 2021. https://www.lopinion.fr/edition/international/sahel-france-piege-allies-236694

Laurent Lagneau, Les surcoûts de l’opération Barkhane ont déjà atteint 911 millions d’euros en 2020, Zone militaire opex360.com, 2020.  
 http://www.opex360.com/2020/10/17/les-surcouts-de-loperation-barkhane-ont-deja-atteint-911-millions-deuros-en-2020/ 

Le Tchad annonce l’envoi de 1200 soldats dans la zone des trois frontières, France24, 2021.  
 https://www.france24.com/fr/afrique/20210216-g5-sahel-le-tchad-annonce-l-envoi-de-1-200-soldats-dans-la-zone-des-trois-fronti%C3%A8res   

Marc-Antoine Pérouse de Montclos, Une guerre perdue : La France au Sahel, éditions Jean-Claude Lattès, 2020. 

Nicolas Gros-Verheyde, Le pilier militaire du G5 Sahel monte en puissance, Tabuka aussi. Le GISM ennemi numéro 1, Bruxelles2.EU, 2021.  
 https://www.bruxelles2.eu/2021/02/le-pilier-militaire-du-g5-sahel-monte-en-puissance-takuba-aussi-le-gism-ennemi-numero-1/ 

Pierre Maurer, Opération Barkhnae au Sahel : “Le sommet de N’Djamena doit être celui du sursaut”, Public Senat, 2021.   
 https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/operation-barkhane-le-sommet-de-n-djamena-doit-etre-celui-du-sursaut  

Sahel : Le chef d’Etat-major français admet la possibilité d’un dialogue avec “un ennemi”, AFP, 2020.   
 https://www.voaafrique.com/a/le-chef-d-etat-major-fran%C3%A7ais-admet-la-possibilit%C3%A9-d-un-dialogue-avec-un-ennemi-au-sahel/5698581.html   

Simon Barbarit, Florence Parly : “La France n’est pas engluée dans une guerre sans fin au Sahel”, Public Senat, 2021.   
 https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/florence-parly-la-france-n-est-pas-engluee-dans-une-guerre-sans-fin-au-sahel