L’Association des Jeunes Internationalistes publie un article rédigé par Arnaud Bezard, étudiant en Licence 1 LLCER Albanais à l’Inalco et passionné de géopolitique.

Le Kosovo, situé dans les Balkans, est enclavé entre l’Albanie, la Macédoine du Nord, le Monténégro et la Serbie. Indépendant depuis plus de dix ans au grand dam de Belgrade, il est aujourd’hui peuplé par plus d’un million 800 mille habitants, dont plus de 90% d’origine albanaise et moins de 5% d’origine serbe. Ce pays montagneux tout juste plus grand que la Gironde a pour capitale Pristina et pour langues officielles l’albanais et le serbe. Le fort taux de chômage, bien qu’en baisse, s’élève à 30% dans cet État où la jeunesse y est majoritaire.
Ce territoire disputé fut sous la férule d’empires siècles après siècles. Initialement, il est presque certain qu’il était peuplé par une des plus vieilles civilisations : les Illyriens. Parmi les tribus, les Dardaniens peuplaient la Dardanie, territoire actuel du Kosovo. Dans un contexte où l’ancienneté ethnique prime, l’appartenance aux Illyriens est le principal argument des Albanais. Les royaumes illyriens se sont maintenus jusqu’à l’établissement de la grande province romaine d’Illyricum, divisée elle-même par la suite en autres provinces, dont la Dardanie. L’Empire romain d’Orient, séparé de l’Empire romain d’Occident en 395, deviendra l’Empire byzantin et englobera le Kosovo jusqu’au XIIème siècle. Il fut par la suite incorporé dans l’Empire serbe, jusqu’à son apogée vers le milieu du XIVème siècle. Puis, le 15 juin 1389 se déroula la bataille de Kosovo Polje (Champs des merles en serbo-croate) où l’entente balkanique du prince serbe Lazar Hrebeljanović fit face à l’entente ottomane du sultan Murat Ier. Les deux y trouvèrent la mort et le Kosovo fut ensuite intégré dans l’administration ottomane pendant 5 siècles. Après la Première Guerre Balkanique (1912-1913) où la Ligue Balkanique (Bulgarie, Grèce, Monténégro et Serbie) triompha sur l’Empire ottoman, il fut rattaché à la Serbie.
La Première Guerre Mondiale terminée, le Royaume des Croates, Serbes et Slovènes fut proclamé le 1er décembre 1918 et incluait le Kosovo. Par le biais de colonisations, les Serbes tentèrent de faire basculer la balance ethnique, qui penchait fortement en faveur des Albanais. Puis, la Seconde Guerre fut déclarée et l’Italie fasciste envahit l’Albanie en avril 1941 en lui rattachant une partie du Kosovo, en accord avec son allié nazi. Le rêve des nationalistes albanais de créer une « Albanie ethnique »-la notion de « Grande Albanie » rappellerait une vision fasciste de l’expansion-(réunir tous les Albanais) se profila, malgré l’hostilité générale albanaise face aux fascistes. Le royaume dont il était question pendant l’entre-deux-guerres devint la Fédération de Yougoslavie en 1945, dirigée par Josip Broz dit Tito, et divisée en 6 républiques (Bosnie, Croatie, Macédoine, Monténégro, Serbie et Slovénie) et 2 provinces autonomes (Voïvodine et Kosovo). Au fur et à mesure, Tito donna une autonomie grandissante à la province du Kosovo. Après sa mort en 1980, le Serbe Slobodan Milošević monta au pouvoir et la réduisit au néant. Le Kosovo, jusqu’alors « Province autonome socialiste » de la Yougoslavie, devient en 1990 « Province autonome du Kosovo-et-Métochie » (cette appellation est celle utilisée par le gouvernement serbe aujourd’hui). Face à sa politique anti-albanaise, la Ligue Démocratique du Kosovo (LDK) fut créée en 1989 par Ibrahim Rugova. Il s’auto-proclama président pacifiste de la République du Kosovo, demandée par les étudiants, en 1992. En 1995, les Accords de Dayton qui mirent fin aux conflits en Bosnie-Herzégovine laissèrent le Kosovo en marge des discussions. Suite à cet échec d’Ibrahim Rugova, l’UÇK (Armée de Libération du Kosovo) s’affirma comme le seul acteur d’une émancipation du Kosovo. En 1998, les violences entre la police serbe et l’UÇK se multiplièrent.
La situation s’aggravait et l’OTAN décida d’intervenir une première fois en 1998 avec l’opération de surveillance aérienne Eagle Eye, pour vérifier si le cessez-le-feu exigé par la résolution 1199 du Conseil de sécurité des Nations Unies était respecté par les deux parties. De plus, le but de l’exercice Determinated Falcon organisé le 15 juin 1998 par l’OTAN, qui survolait les sols albanais et nord-macédonien, consistait à « démontrer la capacité de l’OTAN à projeter rapidement sa puissance dans la région ». Dans ce contexte de dégénérescence du conflit, la Conférence de Rambouillet en février-mars 1999 aboutissait à un accord de paix entre les deux belligérants mais ne fut signé le 18 mars que par la délégation albanaise (Hashim Thaçi et Jakup Krasniqi pour l’UÇK, Ibrahim Rugova pour la LDK, Rexhep Qosja pour le Mouvement démocratique uni et Veton Surroi pour la société civile). Suite à cet échec, l’OTAN lança l’opération Allied Force du 24 mars au 10 juin 1999, sans l’accord du quatrième membre permanent de l’ONU : la Russie. L’OTAN met donc en place un raid aérien sur la Yougoslavie et déploie la Kosovo Force (KFOR) sur le territoire du Kosovo pour surveiller le territoire. Elle sera répartie en cinq zones, contrôlées par cinq pays : la France dans la partie septentrionale, l’Italie avait la partie occidentale, l’Allemagne la méridionale, la Grande-Bretagne le Centre-Est et les États-Unis le Sud-Est avec le camp Bondsteel. La Serbie, (appelée Yougoslavie jusqu’en 2003), face la fuite de sa population, à la puissance de l’OTAN et des bombardements involontaires touchant des civils, accepta le cessez-le-feu le 9 juin 1999 de l’Accord de Kumanovo. La guerre du Kosovo était donc finie avec un bilan de plus de 10 000 morts et moins d’un million de réfugiés.

Afin de maintenir la paix dans l’ex-province yougoslave, l’ONU met en place la Mission d’administration Intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK). Le Kosovo devient ainsi un protectorat de l’ONU et de l’OTAN et demeure promis à un avenir incertain. Effectivement, de 1999 à 2008, la mission de l’ONU n’aura pas fonctionné car l’économie n’aura pas été relancée et le dialogue entre Serbes et Albanais restait difficile. Dans ce contexte, le 17 février 2008 est proclamée la déclaration d’indépendance du Kosovo par Hashim Thaçi avec le futur président Fatmir Sejdiu et le vice-président américain Joe Biden. Elle n’est aujourd’hui reconnue que par 100 pays (15 ont retiré leur reconnaissance diplomatique, suite à la campagne menée par le ministre serbe des Affaires Étrangères Ivica Dačić pour la révoquer auprès des pays l’ayant déjà reconnue) et 97 des 193 pays de l’ONU. La résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies du 10 juin 1999 prévoyait le déploiement de la MINUK, le désarmement de l’UÇK et déclarait souhaiter la jouissance pour le kosovars d’une « autonomie substantielle » au sein de la République fédérale de Yougoslavie. L’Union européenne, timide jusqu’alors, met en place en décembre 2008 la mission EULEX pour accompagner le Kosovo dans la création d’un État de droit.
L’indépendance conclut en quelque sorte le travail de l’envoyé spécial pour le processus du statut du Kosovo mandaté par l’ONU en 2005, l’ex-président finlandais Martti Ahtisaari. Ce dernier avait établi comme solution au dialogue albano-serbe la création de l’État kosovar. Durant les années suivant la déclaration d’indépendance, la scène politique kosovare vit la montée au pouvoir des ex-combattants de l’UÇK avec le Parti Démocratique du Kosovo (PDK) du président actuel Hashim Thaçi et l’Alliance pour l’avenir du Kosovo (Aleanca për Ardhmërinë e Kosovës, AAK) de l’ancien Premier ministre Ramush Haradinaj. L’UÇK fut et continue d’être considérée comme une organisation terroriste par la Serbie, du fait des nombreux soupçons d’affaires de corruption, de trafic d’organes et de drogue, et de crimes de guerre.
Malgré tous ces facteurs peu encourageants, le Kosovo parvient à se faire remarquer à l’international. La judokate Majlinda Kelmendi remporte la première et unique médaille d’or du Kosovo lors des Jeux Olympiques de Rio de Janeiro en 2016. L’équipe nationale de football, admise à la FIFA (Fédération Internationale de Football Association) en 2016, s’est faite remarquée ces dernières années en effectuant une série de 12 matches sans défaite et en arrivant aux barrages de qualification de l’UEFA Euro 2020. Les Kosovars, Albanais et Serbes, tous très sensibles au football, se souviennent sûrement du match qualificatif de l’UEFA Euro 2016 opposant l’Albanie à la Serbie qui a dû s’interrompre. D’un côté, les supporters serbes criant, avec leur banderoles « Ubij, ubij, Šiptara » (Tuer les albanais), et de l’autre, les supporteurs albanais qui font apparaître sur le terrain de jeu, à l’aide d’un drone, le drapeau albanais revendiquant la « Grande Albanie ». C’est ainsi que ces provocations, animées par un esprit nationaliste des deux parties, vont transformer le terrain de sport en ring de boxe. Cet événement raviva fortement les tensions albano-serbes autour du Kosovo.

L’espoir des Kosovars de voir un État solide dirigé par de nouvelles personnes autres que les irremplaçables chefs de l’UÇK s’oublia jusqu’au mois d’octobre 2019. Moins d’un an après la création de l’armée du Kosovo, des élections législatives se sont tenues, provoquées par la démission de l’ancien premier ministre Ramush Haradinaj suite à sa convocation au Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) en juillet. Les résultats semblaient annoncer un changement sur la scène politique dirigée par le président Hashim Thaçi (en poste pour son quinquennat depuis 2016) car la LDK de Vjosa Osmani les remporta avec la LVV (Lëvizja Vetëvendosje : Autodétermination) d’Albin Kurti. Cependant, les deux partis ont mis 5 mois à former la coalition requise ; les désaccords venaient principalement de la nomination aux différents postes. Finalement, le 3 février 2020, Albin Kurti devient le premier ministre avec comme premier vice-premier ministre Avdullah Hoti de la LDK. Les 12 ministères étaient partagés entre les deux partis, tout comme les suppléants aux postes.

Richard Grenell, envoyé spécial du président Trump pour les négociations de paix entre le Kosovo et la Serbie, aurait imaginé leur meilleure solution : un échange de territoire. Celui-ci reviendrait à donner la partie Nord du Kosovo, peuplée de Serbes, et à restituer une partie du Sud de la Serbie peuplée d’Albanais, la vallée de Preševo/Preshevë. Cependant le premier ministre s’y oppose car l’établissement de frontières sur des critères ethniques, en plus de n’être pas « réglementaire », n’est pas la meilleure solution ; on l’a vu avec les guerres en Yougoslavie. Il prône plutôt un principe de réciprocité progressive avec la Serbie. La mesure la plus concernée est la taxation à 100% des produits venants de Serbie instaurée par Ramush Haradinaj en novembre 2018. Elle fut abolie le 1er avril pour certaines marchandises seulement, en attendant des actions réciproques venant de la Serbie. Si elles ne viennent pas, Albin Kurti avait annoncé réitérer la taxe plus tard. Pourtant, un pas semblait avoir été fait en février 2020 lors de la Conférence sur la sécurité de Munich où Hashim Thaçi et Aleksandar Vučić, président de la Serbie, avaient signé, sous le regard de l’émissaire Grenell, un accord pour la création d’une ligne ferroviaire reliant l’Est du Kosovo à la Serbie. Mais le premier ministre s’est plaint de ne pas avoir été averti et on ne sait pas ce que cet accord est devenu.
Le 25 mars 2020, suite à un désaccord sur la déclaration d’état d’urgence sanitaire du pays entre le ministre des Affaires Intérieures Agim Veliu (LDK), Albin Kurti et Hashim Thaçi, la motion de censure a été votée au parlement contre le gouvernement Kurti. Cet imbroglio politique intervient en pleine épidémie du Covid-19, qui a contaminé fin avril 763 personnes et causé la mort de 22 au Kosovo, selon les autorités locales. Cependant, Albin Kurti maintient sa position de premier ministre dans cette situation même si ses idées divergent encore avec le président ; l’un veut de nouvelles élections, l’autre, un nouveau gouvernement.
Face à tous ces défis, l’UE, en plus de son Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Josep Borell, a nommé le Slovaque Miroslav Lajčak comme envoyé spécial du dialogue entre le Kosovo et la Serbie pour superviser les discussions, bien que la Slovaquie ne reconnaisse pas le Kosovo en tant que pays. Le fait d’être jugé de manque d’impartialité dans les négociations entre Kosovo et Serbie, étant donné qu’il est issu d’un pays qui n’a pas reconnu le Kosovo le place dans une position délicate dans l’exercice de sa mission mais aussi aux yeux du peuple kosovar. De même pour Josep Borell, de nationalité espagnole (l’Espagne ne reconnaît pas l’indépendance du 17 février 2008. Compte tenu des actions antérieures de l’UE concernant la région des Balkans, le Kosovo aurait ses raisons d’être sceptique sur l’efficacité de cette nomination. Qu’est-ce que l’identité kosovare ? Pourquoi les Kosovars albanophones préfèrent se dire Albanais du Kosovo que Kosovars ? L’avenir proche du Kosovo est-il plus orienté vers l’UE avec une adhésion en tant que pays indépendant et reconnu, ou se rapproche-t-il plus de l’Albanie ou de la Serbie avec un rattachement territorial ?
Arnaud Boutin
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